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Book review – Vum Siggy bis bei d’City

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En 1963, pour commémorer le millénaire de la fondation de la ville de Luxembourg en 963, les autorités politiques luxembourgeoises avaient organisé une exposition monumentale aux halles d’exposition du Limpertsberg. 50 ans plus tard, pour un anniversaire moins « impressionnant », la ville a proposé un concours d’artistes pour réaliser une sculpture de Mélusine, gagné par Serge Ecker, et a passé une commande à Lucien Czuga et Roger Leiner pour réaliser « l’histoire de la ville de Luxembourg en B.D. » comme l’annonce le sous-titre de l’ouvrage. dans leur série à succès De Superjhemp, le passé du Luxembourg est un de leurs terrains de jeux de prédilection1. Dès le deuxième album, Dynamit fir d’Dynastie, publié en 1989, Superjhemp rencontre Mélusine, Jean l’Aveugle, Vauban… grâce à un tram qui sert de machine à voyager dans le temps. Dans d’autres albums, un passé souvent folklorique sert également d’arrière-fonds pour raconter les histoires héroïques de Charel Kuddel. Cette mise en récit du passé a probablement été plus performative pour les représentations mémorielles de la société luxembourgeoise que les dizaines de livres d’historiens parus au même moment, à en juger le succès populaire et commercial inégalé de cette série2 et l’omniprésence de l’univers visuel de Leiner dans la publicité, les brochures pédagogiques,…

Le scénariste Lucien Czuga et le dessinateur Roger Leiner sont donc face à des récits, des figures, des lieux qu’ils ont racontés et dessinés à de nombreuses reprises. Dans cet album-ci, le passé n’est pas la toile de fonds d’un récit qui se passe ailleurs, mais il constitue la matière première de leur narration. Or, malgré leur familiarité avec les histoires luxembourgeoises, l’album est plutôt morne. Les deux auteurs ont choisi un dispositif de récit très classique qui s’articule autour de trois éléments. D’un côté l’histoire avec un grand ‘H’ avec les soi-disant moments-clés du roman national, d’un autre côté les membres d’une famille luxembourgeoise typique, les Molitor, qui en tant qu’habitants de la ville observent ces grands personnages et événements marquants, le tout interrompu régulièrement par des pages de texte qui reprennent les principales étapes de l’histoire millénaire de la ville.

Or, les récits ne fonctionnent ni séparément ni dans leur agencement. Les inserts textuels n’interrompent pas seulement la lecture de la bande dessinée, mais apparaissent aussi comme des béquilles qu’on aurait jugé nécessaires pour accompagner le récit en bande dessinée, incapable de porter seul un récit pédagogique sur le passé. Ils sont également d’une pauvreté historiographique qui interpelle : ainsi la Deuxième Guerre mondiale au Luxembourg est réduite à quatre événements : l’invasion par l’Allemagne, l’exil de la Grande-Duchesse, la destruction de la Gëlle Fra en 1940 et la libération.

La charpente de l’ouvrage, l’histoire des grands événements, ne convainc guère non plus, notamment par le classicisme du récit proposé : les épisodes choisis comme représentatifs sont en grande partie les mêmes que ceux proposés par Herchen au début du 20e siècle dans son Manuel d’histoire nationale. On reste dans une histoire politique des grands hommes (et grandes femmes avec Mélusine, Ermesinde et Charlotte), qui reproduit les mythes du roman national comme celui des « dominations étrangères ». Or, avec la ville comme potentiel acteur, Czuga et Leiner auraient eu la possibilité d’ouvrir sur une histoire sociale ou culturelle proposant d’autres chronologies et événements clés.

Finalement, l’histoire des Molitor auraient pu permettre d’interrompre la linéarité du récit politique, mais les membres de cette famille luxembourgeoise apparaissent le plus souvent comme de simples badauds, spectateurs (parfois admirateurs mais jamais critiques) de la grande histoire, et impuissants d’y intervenir comme des acteurs.

Ces trois voies narratives, insatisfaisantes individuellement, ne fonctionnent guère non plus dans leur agencement, parce qu’elles apparaissent trop souvent comme juxtaposées et sans relation entre elles. Les inserts textuels auraient pu montrer la tension entre récits mythiques (dessinés) et récits historiques. La famille Molitor aurait pu remplir le rôle de commentateur décalé comme la coccinelle dans les histoires de Gotlib. L’insatisfaction ne vient donc pas tellement d’un (non)-respect de la question du vraisemblable historique, mais de l’absence de tout renouvellement graphique ou narrative. Si la bande dessinée a récemment produit des œuvres historiographiquement intéressantes, c’est justement parce qu’elle a permis de recomposer la mise en récit du passé que ce soient Joe Sacco dans Palestine, Emmanuel Guibert dans La guerre d’Alan ou Barbara Yelin dans Gift.3 Czuga et Leiner ont choisi de présenter un récit très lissé. Vum Siggy bis bei d’City apparaît ainsi comme un ouvrage lénifiant, qui n’innove ni par ses aspects visuels, ni par la construction de son récit, ni par la vision qu’il présente de l’histoire de la ville de Luxembourg. Que ce livre soit utilisé dans l’enseignement fondamental de la ville de Luxembourg – comme annoncé lors de la présentation de l’ouvrage en été 2015 – me semble donc particulièrement problématique : le passé (re)produit par les deux auteurs ressemble plus à une brochure de nation/city branding qu’une réflexion sur le passé.
Benoît Majerus

Ce compte-rendu a été publié dans le premier numéro de la Hémecht de 2016.

Czuga L. et R. Leiner, Vum Siggy bis bei d’City. L’histoire de la ville de Luxembourg en B.D., Luxembourg, De Verlaach, 2015, 15€, ISBN : 978-9-995-99105-0.

 

  1. Dans le champ réduit de la bande dessinée luxembourgeoise, l’histoire du Grand-Duchéest un élément récurrent que ce soit dans la revue Letzebuerger Kanner dans les années 1940, dans la série Deemols de Marc Angel publiée entre 1998 et 2001 ou plus récemment, en 2015, dans De Jas. Eng Eisléker Legend , de Jean-Louis Schlesser et Marc Angel.
  2. Vum Siggy bis bei d’City s’est d’ailleurs bien venu également : il occupe la première des livres les plus vendus dans la catégorie « fiction » d’août à novembre 2015.
  3.  Sacco J., Palestine: a nation occupied, Seattle, Fantagraphics Books, 1994 ; Guibert E. et A.I. Cope, La guerre d’Alan, Paris, L’Association, 2000 ; Meter P. et B. Yelin, Gift, München, Süddeutsche Zeitung, 2011.

Benoit Majerus

Since January 2011, I am working as Associate Professor at the University of Luxembourg. I have written my PhD on the occupation of Belgium during World War One and World Two. In 2013 I published a history of psychiatry in the 20th century from below. I am also co-editor of h-madness.

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